Olivier Cornil

♥ son pays noir

Il y a des souvenirs qu’il vaudrait mieux oublier. Certaines choses auxquelles on ne voudrait plus penser. Avant de revenir, de faire ce travail, mon enfance était une zone sombre. Je n’y voyais plus la joie. Occultée. Maintenant, au fil des images, je me la réapproprie.

J’avais 7 ans. L’autoroute qu’ils construisaient à 500 mètres de ma maison était presque terminée. Je faisais des escapades dans les réseaux d’égouttage encore vides. Longs tunnels de béton. Au bout de la ruelle, un tronçon abandonné. Il était mon navire, ma forteresse.

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Première maison, peu de souvenirs. Petite. Rudimentaire. Ma mère me lavait dans l’évier de la cuisine. Un vieux monsieur vivait dans la partie gauche. Il m’impressionnait. J’ai oublié son prénom.

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Il paraît que de cette terre noire, de ces résidus de charbon, naissent des plantes particulières. Un biotope inédit. Inattendu.

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Grand-père maternel. Fermier. Originaire des Flandres. Est venu près de Charleroi parce qu’il y avait du travail à prendre. Intransigeance et matérialisme. Conflits avec mon père, perpétuels et destructeurs.

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Ma grand-mère fabriquait du beurre. Je me souviens d’en avoir livré à la vieille dame qui vivait dans cette maison.

Le mur entre le jardin de mes grands-parents et notre cour. Il était moins haut, avant, et il y avait un passage. Mon grand-père a du dire un mot de trop. Un de plus que mon père n’a pas supporté. A tort ou à raison, je n’en sais rien. Mon père a été chercher des blocs et du ciment, a muré le passage et rehaussé la totalité du mur. Plus de critique. Ni de dialogue.

Bonne-Maman. Elle a veillé sur moi. Sur cette enfance. Elle nous donnait à ma soeur et moi une tasse remplie de sucre et quelques fraises du jardin. Parfois c’était de la rhubarbe. Nous nous asseyions sur le bord de la terrasse et trempions les fruits dans le sucre. Une montagne de souvenirs heureux, de moments simples.

La plus grosse partie du hameau est une cité. Créée pour accueillir les ouvriers italiens du charbonnage. Toutes les maisons se ressemblent. Grises. D’autres rouges, un peu plus loin.

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Parfois encore l’envie de tout détruire ainsi. La colère en moi. Les souvenirs néfastes, les relations familiales compliquées et les secrets dérangeants. Certaines personnes, aussi. Un grand feu de joie. Amnésie définitive.

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Un peu plus loin. Charleroi. Cette énorme usine qui m’a toujours fasciné. Belle. Si proche de la ville. Comme un symbole de l’importance de l’industrie ici. Et de sa déchéance, aujourd’hui.

Jacqueline la voisine. Une des seules personnes survivantes de l’époque où je vivais là. Elle venait téléphoner chez ma grand-mère. Payait 20 francs. Le coup de fil durait deux minutes. Elle restait trois heures. Mon grand-père, qu’elle exaspérait, lui disait quand il la trouvait dans la cuisine à discuter : “Tu n’as pas de travail à faire, toi?”.

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J’avais une moto électrique comme celle-ci. Très vite cassée. Il me restait la fourche et la roue avant, derrière lesquelles je courais des heures durant.

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Maman. Elle travaillait loin de chez nous, l’été surtout. Elle partait le week-end entier, revenait tard. Je me souviens avoir pleuré sur ses genoux. Lui avoir dit qu’elle me manquait. C’était une absence. Mais aussi l’image de la tendresse, du réconfort. La sécurité.

Certains objets qu’on estime laids deviennent beaux par ce ou ceux qu’ils évoquent.

Mon oncle m’emmenait parfois travailler avec lui. J’adorais cela. Ramasser les cailloux dans les sillons, derrière le tracteur et la charrue. Tenter de soulever un petit ballot de paille. Se tenir debout sur la moissonneuse. Travail de la ferme. Amour de la terre. Difficile.

Au pied de l’autoroute. Un cheval toujours seul.

A partir de mes 5 ans, nous avons habité dans cette maison, qui était celle de mes grands-parents auparavant. La ferme familiale. Eux ont emménagé dans une partie annexe, les anciennes étables, juste à côté. Quand il gelait, dans ma chambre (la fenêtre de droite au premier étage), il y avait du givre du côté intérieur de la fenêtre.

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Le charbonnage du Boubier : la ferme de mon oncle. Des galeries inondées, interdites. Des restes de bâtiments industriels.

Amer. Nomadis.

Raoul. Le mari de Jacqueline. 85 ans. Chaise roulante. Une jambe amputée depuis des années suite à un accident de travail. Je le trouve beau.

Sibelle. Le chien de gauche. Alors que Jacqueline et sa fille Patricia étaient en train de regarder le chien, jeune, au marché de Charleroi, une passante s’est exclamée : “Oh, mais comme elle est si belle!”. Elles ont adopté le chien, le nom est resté.

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Les héros de plastique disparaissent lorsque nous grandissons. Les héros de chaire lorsque nous apprenons à les connaître.

Il y avait ici un petit terril. Ils l’ont rasé. N’ont rien construit. C’est à présent un terrain vague, une décharge à ciel ouvert.

Au loin, un homme au sommet.

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Espoir(s).

Un père existe même s’il n’est pas là.