Olivier Cornil

est un photographe qui ne prend pas de photo

L’Anthèse*

ou

Le photographe qui ne prend pas de photo

11 juillet.

J’arrive à Marchin sous un ciel plombé,
dans le but de jeter les bases de ma résidence.

Je rencontre Pierre, d’abord. Je vois Marie, ensuite, à ses côtés. Tout est ouvert, libre, les idées peuvent être multiples. Participatives ou n’émanant que de moi. Je suis heureux de les voir et de leur parler. De débuter. Oui.

L’idée de loger chez l’habitant est pour moi essentielle. Je le leur redis. Pour mon “ Oui ”, qui, égoïste, sera d’aller vers les gens. A tout prix. Ne pas être seulement un promeneur. A contrario de ma démarche habituelle, confortable, paresseuse.

On me demande de créer un lien entre deux villages : Grand-Marchin et Évelette. L’un n’est pas plus grand que l’autre. Ils sont éloignés de plus ou moins huit kilomètres. Pas vraiment de similitudes a priori. Pas de différences flagrantes non plus. Je n’ai aucune idée de quoi faire. Ni comment.

Nous parlons, donc. Et c’est agréable. Des personnes que je pourrais rencontrer à Grand-Marchin, qu’ils connaissent. Pierre m’emmène pour ma première rencontre, chez Paul. Il nous offre un café. Nous discutons des paysages wallons et des films de Bouli Lanners en fumant une cigarette sur le balcon, face à la belle vallée du Triffoy. Nous regardons les hirondelles passer vers la cave, elles rejoignent leurs nids. Ça me rappelle mon enfance, les nids sur les poutres de l’étable et les cris des oiseaux. Le panorama est magnifique. Oui.

Nous évoquons, ou plutôt ils évoquent des faits et souvenirs d’ici. Dont la résistance spaghetti, qui titille mon esprit. Oui. Au moment de partir, Pierre dit que cherche des lieux où loger. Paul répond que je suis le bienvenu. Pierre dit : “ Demain, alors? ”. Paul est d’accord. Je conclus en promettant d’apporter l’apéro. C’est simple et agréable. Oui.

Pierre m’emmène alors chez lui pour manger une tartine. Pain aux noix, gorgonzola, boudin blanc et comté AOC. Arrosés de soupe en boîte et d’un Saint-Chinian qui m’a bien goûté. Nous parlons encore. D’âge et de vieillir, entre autre. Sujet qui parfois me tracasse. Les années passent. Dans le jardin une plante, étrange, que j’ai déjà prise en photo sur un terril à Charleroi. Je ne connais pas son nom. Lui non plus. J’avais bien aimé cette plante là-bas, elle m’avait intrigué. Je la trouve belle ici. Derrière les feuilles, grandes,
de belles fleurs jaunes se développent. Oui.

Pierre part, retourne travailler au centre culturel, laisse derrière lui sa maison ouverte et moi à l’intérieur. Je finis mon verre de vin en écrivant, assis sur les marches du perron arrière. Je sens le vent et goûte la pluie qui arrive.
Contre laquelle je dis oui à ce délicieux début de journée.

Je pars ensuite explorer le village. Je rentre chez mon hôte en début de soirée. Trempé. Pas assez bien équipé. Je me suis promené, ai pris quelques images. Le village est assez charmant, simple. Divers. Anciennes maisons de pierre, belles, qui côtoient de nouvelles constructions auxquelles je ne parviens pas à m’habituer. Le “ oui ” me trotte dans la tête, je me demande comment parvenir à le montrer. Le “ oui ” est une réponse : mes images devraient-elles être des questions ? Ou chacune d’entre-elles un oui ?
Ou bien dois-je oublier un peu ce “ oui ” et faire d’abord des images ?

Avec Pierre, en attendant un de ses amis qui n’est jamais arrivé suite à un engagement antérieur oublié, nous buvons un petit rosé en discutant. Nous sortons et j’assiste à la chasse quotidienne à la limace. Il en a un véritable élevage, en retire quarante des salades en dix minutes. Nous mangeons ensuite de très bonnes lasagnes maison, toujours agrémentées de rosé. A 21 heures il monte dans sa chambre. “ À la campagne on se couche tôt ” me dit-il. Un peu tôt pour moi, tout de même. Je traîne au jardin et devant mon ordinateur,
et finalement dans mon lit avec un livre. Oui.

12 juillet.

Je me lève à 8 heures 30 et découvre la maison vide. Pierre est déjà parti. La table est dressée. Une déception, le café soluble : je rêve d’un vrai café.

Repas, ablutions, habillage. Je range mes affaires, jette un dernier coup d’œil au jardin, à l’étrange plante, et prends deux photos dans la maison. Ensuite je ferme la porte. Et je me dis que ça va probablement être étrange, tout au long de l’année, de rentrer ainsi chez des gens pour en ressortir le lendemain. Les croiser. J’espère vraiment que des liens pourront se nouer. Au fil du temps. Oui.

Je rejoins Pierre au centre culturel, l’aide à porter quelques chaises d’un endroit à l’autre. Ensuite nous partons chez Caroline et Olivier. Seconde rencontre. Olivier est au travail. Caroline s’occupe aujourd’hui de son petit enfant. Elle m’offre un thé. Nous parlons du village, du pourquoi elle vit ici, depuis combien de temps. C’est agréable même s’il y a des blancs logiques : je ne sais pas exactement où je vais, ni ce que je cherche. Caroline est patiente, elle me répond et m’écoute.
Nous parlons du “ oui ”.

Le sien : “ être ici ”. Oui. C’est bien, c’est bon. Être ici. Dans sa vie, ses choix, ses bonheurs et ses sourires. C’est un premier contact. Fragile. Son fils, Vadim, dix mois, se réveille. Elle va le chercher. Il est souriant et amusant.
Je le regarde, il me montre toutes ses dents. Oui.

Mon petit Paul me manque, évidemment, comme toujours.
Mais ce sourire me fait du bien.

Je les laisse et pars me promener. J’emprunte la route très pentue qui démarre face à leur maison. Je photographie des paysages, incluant des fleurs dont je ne connais pas le nom. J’aimerais mieux connaître les noms des végétaux qui m’entourent. Quelques vaches me regardent.Ensuite je trouve un banc, à proximité de l’église au clocher si particulier, torsadé. Un petit chemin d’herbe fraîchement tondue et quelques rayons de soleil.
Je décide de m’y asseoir et d’écrire. Oui. Être ici.

Un chat dans la prairie, attitude prédatrice, observation et affût, face à moi. Me voit et s’enfuit. Sur des barbelés des poils de vache, blancs, qui volent au vent. Un merle, des ombelles. J’ai repris mon exploration, suis descendu le long du cimetière, une maison d’ardoises roses et un chemin étroit entre deux clôtures électrifiées. Les vaches semblent peu contentes de ma présence. J’arrive sur une route asphaltée, droite, qui remonte vers Saule-Marie. A un croisement trois sapins majestueux. Je vais vers l’église à nouveau, passant devant chez Paul, chez qui je vais dormir ce soir. A ma gauche un sentier, qui doit monter vers la place, je suppose. Arrivé sur le dessus de la colline je me retrouve nez à nez avec d’étranges bovins, poilus et avec de longues cornes, qui ne me semblent pas indigènes. Je n’ai rencontré personne durant cette promenade.
Le village semble vide.

Il me faut manger. Je vais m’approvisionner à Marchin. Je reviens et m’installe sur le kiosque. Le vent est doux et le soleil brille toujours. L’endroit est plaisant. Oui. Être ici sera le mot d’ordre du jour.

Marie m’a proposé une balade dans le village cet après-midi. Aller à la rencontre des habitants. Je ne sais pas si je dois l’appeler Marie ou Marie-Ève. Je ne sais même pas au juste quel est son prénom. Et je n’ose pas demander.

Nous sommes passés voir Christian et son épouse, et aussi Marie-Louise. Emmanuelle et son mari, ainsi qu’un autre monsieur dont j’ai oublié le nom. Un autre monsieur n’a pas daigné nous saluer. J’ai vu les maisons de Raphaël et celle du bourgmestre. Un peu perdu. Présentations fugitives mais qui me semblent essentielles : autant de points d’accroche
qui pourront faciliter les contacts à venir. Oui.

Ceci dit, être ici s’avère évidemment plus compliqué que prévu :
le “ Oui ” n’est pas si simple.

Certains discours sont nostalgiques, voire amères par rapport à l’avenir. Et au présent. Certaines pensées teintées de bon sens, mais un sentiment quelques peu négatif au total. “ C’était mieux avant ! ” serait pour certain un “ Non ” de base. Mais peut-être cache-t-il un “ Oui ”, qui serait une envie de revenir à plus de contacts et de liens, une vie de village plus riche en contacts. La vision qu’on ces mêmes personnes de notre mode de vie est aigre : nous n’avons plus de temps, nous ne le prenons plus. Trop de superficialité, qui coûte trop cher, pour laquelle nous travaillons trop et dont la conséquence est un repli sur soi. Peut-être est-ce vrai. ( Je le pense ). Qu’il serait doux de ramener tous ces gens à une table, pour partager un repas. Et passer du temps ensemble. Oui.

Après une autre balade je vais chez Paul, qui a donc accepté de m’offrir le gîte et le couvert. Lorsque j’arrive, il est en train de préparer notre repas : blé cuit, courgettes et fèves des marais de son jardin. Un délice.

Nous parlons du “Oui” et la réponse de Paul est‌ :“ Oui, j’adhère ”. Il souligne l’importance de l’implication et de la volonté dans le oui. Ça me semble visible dans ses mots, ses gestes et ses regards. Oui.

Lors du reste de la soirée, nous parlons de beaucoup d’autres choses et buvons du vin sur la terrasse, les regards perdus dans la vallée qui nous fait face. Oui.

Sa compagne, Laurence, nous rejoint après sa journée de travail. Journée qui s’est très mal passée. Elle semble tendue, peu réceptive, m’ignore ou, au minimum, m’impose une distance. Je m’éclipse
et en profite pour appeler mon amoureuse. Oui.

Lorsque je reviens, Laurence est à table, semble apaisée, et me redit bonjour. “ Maintenant je peux te dire bonjour ” me dit-elle. Oui.

S’ensuivent encore une paire d’heures de belles discussions. Il commence à pleuvoir et nous sortons les parasols. Le vin coule à flots. Les cœurs semblent ouverts. Je ne les connais que depuis quelques heures et pourtant je me sens bien, à ma place. Être ici, donc. J’adhère. Oui.
Je sens la fatigue et l’alcool s’installer dans mon cerveau.
Il est temps que j’aille dormir. Belle nuit.

13 juillet.

Je me lève à 7 heures 30, pour prendre le petit-déjeuner avec Paul qui part tôt pour aller aider son fils. Juste avant son départ, il me dit qu’il a pensé à “mon oui” pendant la nuit. Il fouille dans une caisse de jouets de ses petits enfants et en sort un petit livre. Un album de “ Oui-Oui ”. Une petite blague de grand matin. J’ouvre le livre, le texte de la première page est : “ En route pour l’aventure ”. Oui.

Ablutions, habillage. J’emballe mes affaires et jette un coup d’œil à la belle vue sur la vallée, regarde un peu la maison. Je pense que j’y reviendrai. Paul m’a répété que je pouvais revenir quand je voulais. Oui. Je ferme la porte et monte dans la voiture : direction Evelette. Je traverse Goesnes, Tahier et Libois. Je passe devant de belles fermes, des châteaux, plein de champs et de prairies. La région est magnifique. Je roule très lentement, exaspère mes poursuivants, je profite. Au centre du village je tourne à gauche, passe devant l’église, cherche un petit peu et arrive en haut de la petite rue que m’avait indiqué Pierre.
Première maison sur la droite : je suis chez les Guilmot.

Ils sont mon relais à Évelette. Je les ai déjà vus à une réunion pour la biennale à laquelle je m’étais rendu. Sur la barrière un pictogramme fait maison : interdiction de photographier. Je me dirige vers la porte principale et frappe. Pas de réponse. Après un petit moment, Françoise arrive par une petite barrière située sur le côté de la maison. “ La porte à laquelle tu as frappé est celle des témoin de Jéhovah ” me dit-elle, “ Elle est murée ”. Je ris déjà. Oui.

Paul ( encore un Paul. Deux des hommes rencontrés ici portent le même prénom que mon fils. Ça me plaît. Oui. ) vient m’accueillir également. Me montre son picto, me fait rire encore. Sur un petit panneau, près de l’entrée est écrit :
“ Ah! Vous voilà! Enfin! ”. Oui.

J’ai passé la journée en leur compagnie. Balades sous la pluie, en voiture, pour me montrer le village et ses hameaux. Nous avons visité le musée de l’os et j’y ai reçu un badge. Nous sommes ensuite rentrés et avons pris un très long apéro dans le Moderne, qui est le plus beau bistrot du monde d’Evelette. Oui.

Et nous avons encore parlé. Beaucoup. Et ri. Beaucoup. Lorsque est venu le moment de partir, nous nous sommes fait la bise ( trois ) et en repassant par la petite barrière, Paul a enlevé son picto pour me le donner. Oui.

Trois premières journées, donc. Je suis parti de là heureux. Les bases sont joliment jetées, appréciées, denses. Je ne sais pas encore vers quoi je me dirige mais je sais déjà que je vais passer de bons moments ici,
en compagnie de ces gens.
Je n’ai pas fait beaucoup d’images. Aucun portrait. Mais je ne suis pas pressé.
J’ai envie de me laisser ce temps.

Je reviendrai bientôt.

15, 16 et 17 août

La veille je suis passé voir Lio et Antoine à Langlire, où ils maquettaient pour le prochain album. Risque : nous avons bu des verres jusqu’à 3 heures du matin et je savais que ce serait laborieux le lendemain. Mais risque assumé : la soirée fût très agréable, avec une fin décousue dont l’apogée fût l’écoute de nouveaux morceaux, tous trois dodelinant devant la console. Enthousiasme béat de fin de soirée : tout est bien, tout est beau. La musique, l’amitié, la vie.

Je me suis donc levé à midi, le cerveau atrophié. Après deux cafés essentiels, j’ai regardé ma carte de Belgique pour trouver un itinéraire sans autoroute vers Évelette ( J’exècre les gps et autres assistances, pour moi très souvent inutiles : elles nous poussent à suivre plus qu’à choisir ). La Roche, Hotton, quelques nationales. Parfait. Je m’en suis allé. Ma tête n’allait pas mieux
mais j’avais hâte d’y être.

Chez Paul et Françoise, l’accueil fût à nouveau chaleureux. J’aime entrer dans le jardin et observer les diverses annotations qui s’y trouvent, comme ce petit écriteau : “ Que la fête commence ”. Ou sur une plaque, à proximité du Moderne : “ Le 11 septembre 2001, sur cette place, il ne s’est strictement rien passé ”.
Une manière de donner le ton…

Mes hôtes m’avaient concocté un petit programme de visites. Aller à la rencontre, m’aider à créer des liens, être des relais. C’était fort agréable. J’y avais, sans réfléchir, ajouté une touche en planifiant mon logement du lendemain.

15.

12h : réveil plus que laborieux à Langlire.

13h30 : arrivée à Evelette chez les Guilmot.
Refus d’apéro, eau pétillante réhydratante.

14h : balade avec Paul et Françoise. Le nouveau rond-point polémique d’Évelette, puis chemin du dessous.

15h : apéro chez Luc et Martine, à Libois. Faire fi des chemins et passer à travers champs, après moissons.Hûmer des parfums divers : madeleines de Proust.

17h : second apéro chez Vincent et Cheche, aux Comognes.

19h : retour au Moderne et souper chez Paul et Françoise.
Fin de soirée, discussions.

16.

9h : réveil un peu vaseux. Mieux que la veille. Espoir de crescendo.

10h : visite à Benoît et Elisabeth, Évelette. Visite de serres et récolte. Contact.

13h : barbecue chez Marcel et Bernadette, à la Bouchaille.
Orgie de nourriture et accueil adorable.

18h : sortie de table. Je parviens à m’extirper de cet agréable piège afin de pouvoir me rendre à l’étape suivante.

18h30 : arrivée chez Caroline et Olivier, à Grand-Marchin.
Apéro et souper. A nouveau. Très bien.

00h30 : début de la belle nuit dans la caravane.

Le résultat fût une somme de très bons moments, dans la juste lignée de la première soirée avec mes amis avant ces deux jours.

Néanmoins, outre le bonheur que j’en ai retiré, il m’a semblé important de ne pas oublier que j’étais là pour travailler. Pendant ces 48 heures je n’ai fait que très peu d’images et de retour chez moi je me suis dit que je devrais faire attention à ne pas passer uniquement mon temps à boire des verres et deviser autour d’une table. Ce sont à coup sûr des activités plaisantes. Mais si je continue ainsi, il y a de grandes chances que le cul vissé sur ma chaise
j’en vienne à avoir des escarres…

10 octobre

Je suis venu en transport en commun : deux trains, deux bus et trois heures depuis Bruxelles. Fort long, même si je suis amoureux des voyages en train. Impression d’avoir perdu du temps. Heureusement je dors ici ce soir et que je ne dois pas faire l’aller-retour en une journée.

Je suis déçu : depuis que je viens ici, je suis tombé amoureux du Condroz et de ces vallées, au point que j’envisageais de venir m’installer ici. J’en ai parlé, je me suis enthousiasmé. Cela fait plus de deux ans qu’avec des amis nous cherchons un endroit pour créer un habitat groupé.
Je leur ai parlé, aussi, de cette belle région.

4 et 5 décembre, 18 et 19 décembre, 19 janvier, 25 janvier, 11 et 12 février, 14 et 15 février, 2 au 5 avril. Ainsi que d’autres jours où je ne suis même pas parti de chez moi.

Saison Temp. Insolation Précip.

→ / °C / heures / mm

Hiver 2013 / 2.9 / 126.4 / 281.6

Normale / 3.6 / 180.5 / 220.5

Printemps 2013 / 7.7 / 385.6 / 222.5

Normale / 10.1 / 463.9 / 187.8

Commentaire

L’hiver 2013 aura été un peu plus frais que la normale, à l’insolation très anormalement déficitaire et aux précipitations excédentaires
(excédent anormal en quantité et normal en fréquence).

Au niveau température, décembre a été particulièrement doux, janvier et février 2013 ont été tous deux plus frais que la normale,
surtout le dernier mois de l’hiver météorologique.

Au niveau précipitations, janvier et février furent légèrement déficitaires, mais décembre fût particulièrement excédentaire en précipitations.

Au niveau de l’insolation enfin, les trois mois furent déficitaires, donnant en définitive un hiver très anormalement sombre.

Le printemps 2013 aura été nettement plus frais que la normale (déficit très exceptionnel), à l’insolation déficitaire et aux précipitations légèrement excédentaires bien que restant dans les normes
(en quantité et en fréquence).

Au niveau température, les trois mois ont été déficitaires en températures
et surtout les mois de mars et mai.

Au niveau précipitations, mars 2013 fut conforme aux normales, avril fut déficitaire en précipitations tandis que mai fut largement excédentaire.

Au niveau de l’insolation enfin, mars et mai 2013 furent déficitaires,
avril très proche de la normale.

C’était difficile, le temps, de décembre à mai. Je n’en pouvais plus. Je venais errer dans les villages, espérant voir quelqu’un, ayant envie de rencontre mais retombant dans mon mutisme et mon impossibilité à forcer le contact (“ mais pourquoi donc devoir forcer le contact ? ” ou “ lorsque le « oui » que je m’impose est en désaccord avec ma nature, est-il encore un « oui » ? ” ).

Les gens restaient chez eux, ce que je comprenais facilement.
Et moi, je ne sonnais pas à leurs portes.

Il y a aussi la lettre, toutes boîtes écrit par moi et déposé par Pierre dans Grand-Marchin. Une autre envie pour forcer le contact, “ aller vers ”, essayer. Qui s’est transformée en une réelle désillusion : j’ai eu une seule réponse,
qui n’a même pas pu se concrétiser.

J’ai croisé à une autre occasion une personne qui m’a dit : “ Ah oui, c’était toi cette lettre ! Maintenant que je te vois je pourrais sans doute t’accueillir, mais au vu de la photo sur la lettre, jamais :
je te prenais pour un taliban ! ” ( sic )

Mains et pieds gelés, ciel plombé et quelques flocons de neige ont été mes compagnons de route pendant ces quelques mois. Et j’ai baissé les bras : je n’avais plus envie de venir ici. Besoin moi aussi de rester auprès des miens, bien emmitouflé. Chercher le “oui” sous les ciles plombés et la solitude était une tâche hors de ma portée à ce moment.

Quelques images de paysages enneigés, tout de même, ainsi qu’une visite impromptue chez Paul à Grand-Marchin, m’ont fait grand bien. Son sourire, bien sûr, et l’extrait d’un livre ( Cercle, de Yannick Haenel )
qu’il avait noté pour moi :

« […] C’est pourquoi je dis : « OUI. » Assez haut dans les arbres, et vers le ciel :

OUI

Ce « oui » emporte avec lui toute la scène ; il fait naître dans le ciel, avec ses trois lettres, des phrases qui se mêlent aux fleurs et tissent leurs formes dans le vent. Les pages de ce livre se soulèvent, le « oui » les a libérées, elles se lancent, maintenant, l’une après l’autre, elles prennent bien le vent, diffractées comme un corps dont l’extase se dilate sans fin. […]
Ça flotte, vers l’est, ça prend les abîmes.
Les couleurs écrivent une trajectoire dans le ciel. […] »

Ce n’était pas grand chose : un bout de texte et une pensée. Mais c’était une éclaircie dans la grisaille. Le contact, le lien. J’y reviens toujours même si la démarche reste pour moi compliquée.

18 et 19 mai

J’ai débuté ma journée en faisant un détour par les Bouchailles, petit hameau du village : j’avais envie de rencontrer le pinsonnier qui y vit. Mais qui, malheureusement, n’est pas chez lui. Pour une fois que je sonne à une porte… Un peu plus loin, un jeune homme lave un camion dédié au transport de bétail. Je prends sur moi et lui demande
si je peux faire son portrait. Il s’appelle Olivier, n’est pas très à l’aise.

Un miroir ? Une tension. De ma part aussi. Son chien se joint à nous. On parle. Ils regardent ailleurs. Ça passe. Premier portrait en dix mois. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer… Pour moi c’est un peu comme si chaque portrait était le premier, toujours. Pas envie de voler une image ; besoin que la personne qui me fait face accepte de m’offrir son portrait. Je déteste être pris en photo. Peut-être du fait ai-je l’impression que c’est le cas pour tout le monde? Bref, ça ne s’arrange pas. Et il serait sans doute temps que je l’accepte. Un vrai « oui ». Refuser, combattre et aussi, parfois, accepter. Je ne me résigne pas : j’accepte la difficulté. Et une de mes limites. J’essaye.

Je reviens sous le soleil. C’est la fête à Évelette : descente de caisses à savons. Le contraire de ces derniers mois : il y a plein de gens dans les rues. Ils sont là, rient, boivent (beaucoup), s’amusent. Me reconnaissent, parfois. On se rencontre, aussi. Je suis heureux d’être là, et qu’ils soient là.
Ils me font du bien. Merci.

Tournoi de pétanque, ne rien faire, discuter, visiter le chantier du magnifique ancien béguinage avec ses sympathiques propriétaires, regarder, se faire offrir une bière. « Et quoi, photographe ? Tu ne fais pas de photos ? «». Je me fais charrier, aussi, gentiment. Sans doute s’attendent-ils à ce que je prenne beaucoup d’images. Mais comme à mon habitude, j’avance lentement et ne sors mon appareil que très rarement. Il faut dire aussi que c’est un peu particulier : certains sont déjà bien entamés, beaucoup portent le même t-shirt (« À Évelette, c’est todi l’fiesse ! »). Besoin de lien plus subtils, de moments particuliers avec les gens. Aucune envie de série de portraits à la volée, ou volés. Peut-être suis-je trop cérémonial ?

Un agréable moment avec Charles, un apéro avec José et René,
Benoît sur le bar mobile : ce sera tout pour ces festivités.

3 et 4 juin

Jean-Marie m’accueille et me fait don d’une visite de Grand-Marchin et de ses habitants. Nous ferons même un détour pour visiter Michel et sa belle barbe. Je demande; il accepte. Je le trouve très beau. Chez mon hôte du jour, je rencontre également Marie-Julie et son jeune fils. Elle et sa famille vivent dans une yourte à Saule-Marie. Une conversation facile et agréable s’installe dans laquelle elle me propose de venir les visiter dans leur “ maison ”. J’essayerai plusieurs fois lors de mes promenades ultérieures mais sans jamais avoir la chance de les croiser à nouveau.

Jean-Marie parle beaucoup. Et de lui, aussi. C’est un peu étrange ses confidences rapides, mais j’y prends plaisir.
Nous discutons à bâtons rompus.
Il me parle aussi de gens du village, d’histoires d’ici.

Sur ses conseils je passe voir Georgette. Petite causette sur le temps qu’il fait. Elle me parle de “ ses ” hirondelles et je prends une image de leur nid. Il est là depuis 25 ans, fixé entre le plafond et le soquet de la petite grange. J’aime beaucoup les hirondelles ( à nouveau réminiscences ), et il y en a de moins en moins par chez nous. C’est un constat attristant,
pour Georgette comme pour moi.

Le temps presse : c’est la fin, il me reste à peine un mois. Je voudrais au moins avoir à Grand-Marchinun portrait de Paul
ainsi que de Caroline et Olivier.

Paul est chez lui. Il me dit “ oui ”, évidemment. Belle rencontre. J’espère pouvoir garder le lien. Ne pas laisser distance et temps s’en mêler. Il n’est pas seul dans ce cas bien sûr : Marie, Pierre, Paul et Françoise furent eux aussi essentiels. Maintenant que sonne la fin je me sens triste de les quitter un peu : je sais qu’il est parfois compliqué de conserver le lien.

23 juin

Je vais, je reviens, sans doute pour la dernière fois de ma résidence. Je passe par Évelette, où il pleut. Pour changer. Je n’en peux plus, je me sens fatigué. Cette pluie, j’ai l’impression, n’en finit pas. Je dis non.

Je me dirige vers Grand-Marchin, espérant qu’il y fasse meilleur. Il y a des gens, déjà : c’est la fête des ateliers. J’y vois toute l’équipe du centre culturel, accueillante comme à son habitude. Mais la pluie m’a sapé le moral : je suis de mauvaise humeur. Parmi tous ces gens, je ne trouve pas ma place.

Dans un coin du bistro je parviens à m’isoler devant un lecteur cd avec casque, relayant les résultats de l’Aube. Une belle expérience grand-marchinoise sur la parole. Coupé du monde, j’écoute des anonymes parler, réagir à des mots ou phrases qu’on leur soumet. Je me laisse bercer et interroger, je note quelques réponses :

– Ensemble, c’est parfois bien et c’est parfois difficile.

– Si je vous dis oui, vous répondez ? Non / Merci / Mais encore / Bravo / L ’ engagement, le fait d’être partant / C’est beau. Le fait d’être là.

– Quelque chose que vous voulez absolument faire avant de mourir ? Putain, c’est vivre !

– L ’ amour ? C’est le cœur de la chose / C’est ce qui va mal aujourd’hui.

Il va falloir que je pose ce casque, et que je retourne au contact, que je ravale ma mauvaise humeur. Refuser le réflexe du repli.

Qui a gagné pour finir. Plus d’envie : je suis reparti, comme un voleur,
afin de rentrer chez moi me blottir contre les miens.

À Bruxelles : soleil.

8 et 9 juillet

Derniers jours, c’est certain. Il me reste moins d’un mois pour produire l’exposition. C’est déjà trop court. Mais j’avais besoin de revenir,
sans doute pour terminer sur une note positive.

Je passe voir Pierre, qui peint une pièce pour une des futures expositions. Nous parlons un peu de ce qui me reste à faire et mon anxiété monte. Il me propose d’aller boire un verre. Faire une pause, ou plutôt une récréation, selon ses mots. Je suis bien sûr partant, mais il me reste un portrait à faire auparavant, je repasserai donc plus tard. Je prends donc mon chemin vers chez Caroline et Olivier, qui m’ont si bien accueilli, il y a longtemps déjà.
Ils sont chez eux et acceptent ma demande.
C’est étrange et agréable ces rencontres belles de gens beaux.
Une subtile distance mais un contact palpable.

Ensuite je décide de faire à nouveau un tour dans le village. Champs et prairies fraîchement fauchées, sillons de foin, douceurs et chaleur. Le soleil tape fort et bellement. Je savoure ces derniers chemins à Grand-Marchin, je pense à tout ce que je n’ai pas fait, ce que j’ai loupé. Et aussi ce qui a fonctionné. Ce que j’ai adopté : les personnes, les lieux et les maisons que pour une raison ou une autre je sens proches de moi après ces journées passées ici et à Évelette. Je pense à mes envies de portraits, avortées.

Je sui heureux d’être revenu une dernière fois. Boucler la boucle. Pierre, qui est le premier à m’avoir accueilli (boucle 1), me fait découvrir cet
avant-dernier jour le café Ruelle et nous y buvons quelques verres.

Le lendemain je suis passé à Évelette, me promenant d’abord dans le village, vide comme souvent, me rendant ensuite chez Paul et Françoise et ils m’offrent l’apéro (boucle 2). Je me sens tellement bien chez eux. Nous parlons de ma résidence, de la course de caisses à savons. Françoise me raconte que certains villageois m’ont trouvé un surnom : “ le photographe qui ne prend pas de photo ”. Je ris, de bon cœur. Et j’y pense, aussi.

Ce n’est pas faux.

Je voulais que cette résidence soit concernant mes portraits et mes contacts avec les gens une espèce de floraison dans mon parcours.
Une ouverture : ma petite anthèse personnelle.
Mais je reste celui qui ne prend pas de photo.

Oui.

C’est ainsi que je suis. Mais je soigne ma timidité au fil du temps. Et du fait, même si ça reste en dehors de mes photographies, je me sens moins incapable aujourd’hui qu’hier de rencontrer des inconnus,
ou de tisser des liens avec eux. Et j’en suis heureux.

* Anthèse : BOT.  Ensemble des phénomènes qui accompagnent l’épanouissement d’une fleur.

É.-A. Carrière, Encyclop. horticole, 1862, p. 27.

Travail réalisé dans le cadre de ma résidence pour les 6èmes Promenades Photographiques en Condroz

Images et textes © Olivier Cornil, 2013, excepté l’extrait de Cercle de Yannick Haenel et les statistiques météorologiques (meteobelgique.be)

Merci à l’équipe de la Biennale de m’avoir choisi et fait confiance.

Merci à ceux qui m’ont accueilli chez eux.

Merci à ceux que j’ai croisé tout au long de ces belles balades.