Olivier Cornil

se promène dans des serres

Images réalisées en mai 2014 et avril 2015 près de Saint-Ghislain, Hainaut, Belgique /
*

 

Mai 2014

Je suis venu ici une première fois alors qu’à proximité je réalisais des portraits pour une commande.
Derrière le bâtiment de béton dans lequel je me rendais s’étendaient des serres qui semblaient abandonnées.
J’ai demandé à pouvoir les visiter.

C’était un jour maussade, de par son climat et mon moral. La veille s’étaient tenues des élections
européennes, fédérales et régionales. Le parti qui a
recueilli mon suffrage y a subi une débâcle. C’est pourtant le seul qui me semble acceptable dans ce qui nous est proposé. Un programme social et écologique ; des idées tournées vers l’humain. La majorité de mes concitoyens a cependant continué de choisir les même partis sclérosés ; usés par l’habitude.

Qu’on ne s’y trompe pas : le parti pour lequel je vote n’est vraisemblablement pas parfait. Et je ne partage pas toutes ses idées. Mais il me semble le plus juste dans le panel qui m’est offert.

C’est tout le problème de notre système actuel : cette impression de choisir le moins pire, que de toute façon ça n’y changera rien, que les dés sont pipés.

Je rêve d’une vraie classe politique faisant des choix de long terme, ou de tirage au sort plus représentatif et qui peut-être ( lisez « Contre les élections », de David Van Reybrouck ) dynamiserait le sens de la représentation ; redonnerait foi au citoyen. Et à moi.

Bref. J’étais bougon. Un poil énervé. Surtout dépité. J’avais envie de changement. Et d’espoir. Nous en étions loin. Au fédéral avaient même gagné des partis aux idées parfois nauséabondes. Ça n’augurait rien de bon. Et ça se confirme chaque jour depuis.

Dépité, donc.

Je suis entré dans les serres. Les plantes mortes de soif, séchées sur pied, ont été des miroirs : elles étaient en étroite adéquation avec mon état d’esprit. Rabougries, exsangues. Je me suis promené parmi elles, je les ai photographiées.

En me concentrant sur les détails et leur harmonie, les couleurs et les enchevêtrements, les tailles des feuilles et les formes, je me suis laissé emmener vers des horizons plus lumineux. Au creux de cette sécheresse s’étendait une douceur qui m’a conquis. Ce jour-là c’est elle qui a gagné. Je suis reparti sourire aux lèvres.

Avril 2015

Des premières prises de vue je n’en ai gardé qu’une : la lumière était maladive. Trop pour les images. J’ai voulu y retourner et j’ai redemandé un accès.

L’abandon du lieu était toujours poignant. M’interpellait.

Un toit de verre, fragile. Un équilibre créé qui a été
bouleversé. Une construction abandonnée. Un foi sonnement desséché. Une luxuriance tarie. Trahie.
[Notre planète]
Les feuilles jaunies aux formes bigarrées. Les
arbres morts. Même les cactus. Tout a été trop loin,
personne n’a réagit. Le soleil transformé en bourreau ;
la protection devenue prison.
[Notre planète]
Pourtant en certains endroits il reste un peu de verdure.
Voire certaines plantes qui se portent bien. Peut-être
des miracles de l’adaptation ou des hasards de
l’irrigation. Sans doute la ténacité des racines.
[Des femmes, des hommes]

Certains jours j’ai peur pour mes enfants : peur de ce que va devenir cette planète. Panique de leur avoir donné la vie sur une terre dont l’avenir semble compromis. Les discours sont alarmants. Les faits sont affligeants. Nous avons dilapidé. Nous détruisons. Et même si toute production
s’arrêtait à la seconde, les effets de nos (ex)actions passées
se feront encore sentir pendant des années, voire des siècles.

Un toit de verre, fragile.

Une luxuriance tarie. Trahie.

Le soleil transformé en bourreau.

Tout a été trop loin, personne n’a réagit.

Ce qui me réjouit : avec le temps les plantes mortes vont créer de la matière nouvelle. Les vitres vont se casser, l’eau va revenir. Des pousses nouvelles,
adaptées, vont grandir.
Le renouveau.

Ce qui m’effraie  : que l’on ne laisse pas le temps et les éléments œuvrer, que les promoteurs de demain réalisent les mêmes bêtises que ceux d’hier : créer un lieu artificiel, hors des besoins.
La négation.

Qu’il est difficile de rester optimiste. C’est pourtant l’un de mes devoirs envers mes enfants, maintenant que je les ai jetés dans l’arène : insuffler l’espoir, l’envie de beauté,
de grandeur (d’âme) sans décadence. Vouloir et construire.

S’il me semble inutile d’attendre que les hommes et femmes qui nous dirigent deviennent proactifs plus que réactifs ; inefficace d’espérer que les grosses légumes
qui font la pluie et le beau temps se découvrent une conscience, j’ai envie de croire que des gestes simples et efficaces posés ici et maintenant pourront aider la planète que nous léguerons à se découvrir un avenir meilleur que celui qu’on lui promet.

Autour de moi, nous, des femmes et des hommes tentent de changer les paradigmes, essayent de développer des modèles alternatifs, opèrent un retour à la simplicité, refusent un modèle dominant qui nous mènera à l’asphyxie. Il nous faut les soutenir, les aider et les imiter. Sortir des habitudes que nous procure la facilité, retrouver le lien au lieu et à la proximité.