Olivier Cornil

candidate pour le prix mentor // Session #4 ― Arles 07.07.2023

Vert
Désert

(Extraits)

 

Vert désert. Burkina Faso, 2016.

J’ai ramené beaucoup d’images de ce voyage.
Je photographie en argentique moyen format.
À ce moment-là, du carré couleur. Belles couleurs, beaucoup de douceur. J’ai toujours aimé ça, ce rapport au monde assez doux.
Là-bas, je me suis retrouvé confronté à une réalité dure mais surtout à ma place, mon rôle de blanc.
Inadéquat partout.
Un malaise m’a étreint dès les premiers instants, et ne m’a plus quitté depuis 7 ans.

De retour ici après avoir scanné mes négatifs et regardé mes images, je les ai d’abord beaucoup appréciées.
Quand est venu le moment de penser à restituer ce travail, la forme générale des images m’a semblé trop lisse. Elles montrent seulement des personnes et des paysages.
Je voulais garder des images telles quelles mais j’avais besoin que d’autres soient dénaturées, afin qu’elles puissent dans leur forme évoquer le trouble, le malaise, ressentis lors de mon voyage.
J’ai donc travaillé à altérer ces images.

A ce jour, je cherche des conseils et critiques à propos de ce travail mais aussi des personnes, des lieux, qui pourraientt être intéressés de l’exposer et qui pourrait m’accompagner dans sa finalisation.

La série est pour l’instant accompagné de textes écrits pour ce travail par Lisette Lombé (poétesse, slameuse et artiste pluridisciplinaire belgo-congolaise > https://www.lisettelombe.com/).

Impressions jet d’encre sur papier Hahnemühle Photo Rag 308gr. Ces mêmes impressions ont ensuite été reproduites et imprimées sur un autre papier, pour les images « altérées ».

 

 

 

 

 

 

 

 

Extraits de textes :

 

 

Pourquoi continuons-nous à regarder l’Afrique à la longue vue, comme des explorateurs d’une terra incognita?

Pourquoi persistons-nous à percevoir un bloc monolithique, un continent sans visage, une masse informe plutôt qu’un foisonnement de cultures, de contrées, de nations, aussi différentes les unes des autres que la Roumanie, la Suède et la Grèce sont différentes?

Pourquoi continuons-nous à nous accrocher à des divisions surannées du monde?

Le Nord et le Sud.
Les Blancs et les Noirs.
L’Occident et le Tiers Monde.
Les pays développés et les pays en voie de développement.

Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous débarrasser de nos réflexes de touristes à moustiquaires et de nos nombrils de conquistadors?

Pourquoi peinons-nous à enrichir notre stock d’images mentales avec d’autres représentations que celles des
famines, des maladies et des guerres?

Pas d’initiatives citoyennes là-bas?
Pas de questionnements des systèmes de domination?
Pas de recherche, pas d’inventions, pas d’innovation?
Pas d’utopies, pas de poumons gorgés d’espoirs de la
jeunesse?

Pourquoi ce « bon vieux temps des colonies »  toujours
si présent, si palpable?

Pourquoi ces mémoires sélectives?

Pourquoi cette fascination pour l’exotisme?

Pourquoi ce besoin de photographier l’Autre?

Pourquoi ce besoin de raconter l’Autre?

Pourquoi ce besoin d’exposer l’Autre?

Pourquoi?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les pieds nus ne veulent rien dire.

Les trous dans les pantalons, même les haillons, ne veulent rien dire.

Rien dire de l’humanité qui se déploie sous la couche de dénuement.

Rien dire de la richesse intérieure qui s’accumule au fil des années.

Rien dire des espoirs qui continuent de crépiter malgré la décrépitude de la démocratie.

C’est dans le regard qu’il faut chercher l’antichambre des désirs.

Dans le regard, la douceur.

Dans le regard, la défiance.

Dans le regard, la déférence.

Dans le regard, qu’est-ce que je fous là?

Dans le regard, qu’est-ce que tu fais là?

Fais de moi.

Dis de moi.

Dis de toi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aucune vie n’échappe à la coulée d’encre.

Aucun corps n’échappe à la trace noire du temps.

Nous sommes déjà fantômes, matière friable, papier froissé.

Somme de hasards, raréfaction de l’air, pigments fous.

Ça coule, je coule, tu coules, nous coulons.

Conjugaison du débordement.

Trop de doutes, trop de ratés.

Trop de crevasses, trop d’à-côtés.

Trop de barrières, trop de misère.

Trop de plis, trop de tombes.

Trop de pluie, trop d’immonde.

Et trop d’obsessions et trop de moustiques et trop d’os à ronger et trop d’échelles cassées et trop de bouffe importée et trop de regrets et trop de ruines et trop d’amours asséchées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pays inconnu. Sens aux aguets.

Œil de poétesse. Lamelles de réel.

Masques noirs. Cornes d’abandon.

Jeunesses pétrolées. Visages liquides.

Tentacules anonymes. Costumes d’eau.

Sourires squelettes. Sables inversés.

Discrétions des animaux. Spectres d’ébène.

Treillis de peau. Pantoufles du désert.

Demis crânes. Toboggan de mil.

Linge de corps. Fagots fantômes.

Filles mères. Genoux au sol.

Vélos increvables. Craquelures de lin.

Toits crépus. Hommes poteaux.

Jardins zombies. Picots hors cadre.

Familles diluées. Élastiques de l’enfance.

Moustiquaires étoilées. Calebasses lunaires.

Racines aériennes. Murs mycéliums.

Tirettes argentées. Dos punk.

Brousses endimanchées. Lignes de fuite.

Tôles indigestes. Linceuls verdoyants.

Portes orfévrées. Ventres baudruches.

Jupes mordues. Excroissances aléatoires.

Doublures de cow-boys. Écussons survivants.

Main sur l’épaule. Crêtes d’espoir.